dimanche 20 février 2022

 La vie quotidienne au 19ème siècle.


J‘ai choisi de lire deux œuvres d’auteurs radicalement différents, tant en ce qui concerne leur histoire, leur parcours, leur style, leur région. Pourquoi s’intéresser au 19
ème siècle, tout simplement car il est fondateur de ce que notre vieux pays est devenu et aussi parce qu’il marque une rupture fondamentale des sociétés traditionnelles.

Pierre Piérard est un universitaire émérite du nord de la France, spécialiste du monde ouvrier et auteur d’une excellente thèse sur la vie ouvrière à Lille sous le second empire. J’ai choisi cette région en référence à mes origines familiales lilloises et minières.

Henri Vincenot est un merveilleux conteur bourguignon, auteur de nombreux romans et ouvrages, fin observateur et connaisseur de la vie rurale de sa région.

Le métier, l’essence de l’historien, c’est de faire revivre tout ce petit monde disparu, à partir de documents les plus divers et disparates, chacun fournissant un petit indice d’une situation. Il faut rechercher, lire une multitude infinie de papiers et parvenir à faire le lien entre eux, pour comprendre toute une époque, un contexte, des faits, des mentalités et actions de tout ce petit monde disparu, avec ses joies, ses peines et ses espérances…..C’est une véritable enquête de détective, à partir des actes de l’état civil, des délibérations des conseils municipaux, des ordonnances royales et arrêtés préfectoraux, des rapports de police ou du bureau d’aide sociale, de toutes les statistiques (nombre de chevaux, carioles, morts du choléra……), des différents cadastres etc……Malheureusement, les séries sont souvent discontinues et relier néanmoins tous les éléments, pour en faire un récit descriptif, n’a rien de simple, sachant qu’on ne pourra pas tout dire. Un livre d’historien est donc souvent ardu à lire, de par les descriptions précises mais aussi l’inégalité de contenu et de connaissance, du fait de la discontinuité des sources. Pierre Piérard restitue bien la vie des gens du nord au 19ème siècle, en ce qu’elle a notamment de diverse, entre le monde industriel, rural, maritime. C’est un livre d’une grande richesse.

Sans nul doute, Henri Vincenot doit-il être considéré comme un grand écrivain du 20ème siècle ! Sa plume alerte, élégante et précise, au vocabulaire particulièrement riche, des idiomes régionaux au français le plus pur. La vivacité, sinon la truculence de son expression, restitue à merveille le milieu de son enfance et de sa jeunesse, faisant de son récit, un trésor d’Histoire sociale et des arts et traditions populaires. En effet, la matière constitutive de son livre provient quasiment exclusivement du récit des anciens, soutenue par une très grande érudition (ses seules sources documentaires). Au 19ème siècle, en Bourgogne, l’espérance de vie moyenne est faible (46 ans) mais ce n’est qu’une moyenne qui cache une très grande dispersion. La mortalité infantile était très forte dans les deux premières années de vie (diphtérie, Méningite,  Typhoïde). Les médications à base de plantes n’y pouvaient hélas rien, contrairement aux autres affections, les paysans étant très forts en pharmacopée. Mais si l’on franchissait certains caps, alors on vivait très très vieux, permettant ainsi à plusieurs générations de cohabiter ensemble ! Henri Vincenot a donc pu avoir accès à des souvenirs d’une très grande richesse, de ses grands-pères, grands-mères, arrières grands-pères, arrières grands-mères, oncles etc….Son récit nous permet de revivre exactement et directement, sans interprétation, dans l’ambiance des paysans de Bourgogne et il est captivant !

Si l’on me demande quel livre j’ai préféré, ce n’est pas celui de mes origines, en dépit de son intérêt. En effet, je préfère la vie des paysans bourguignons. Ils ont une existence rude en symbiose avec la nature, avec des traditions et croyances (notamment racines de syncrétisme religieux avec le christianisme) qui remontent à la nuit des temps. Leur organisation sociale, avec ses codes reconnus de tous, est articulée autour de la famille et du village, les activités d’itinérance (il y a du monde sur les chemins !) jouent aussi un rôle de diffusion de l’information. La nature offre tout ce dont on a vraiment besoin et le renouvelle chaque année de façon équilibrée car le bourguignon prend soin de son milieu. Quand il fait des coupes de bois, il nettoie la forêt. En bon Gaulois, les villageois chassent le sanglier, présent à profusion, parmi bien d’autres espèces et la famille se réunit pour la veillée l’hiver, au coin de l’âtre (rôle du feu). Outre l’agriculture, les outils sont produits par l’excellence des maîtres compagnons du tour de France. Au final, cette vie très équilibrée et rythmée par les saisons, cette civilisation lente, apparaît comme vecteur d’équilibre et même d’une certaine plénitude.

Dans le nord, l’industrie présente de très bonne heure, a fait éclater toute organisation sociale ancestrale, déjà mise à mal par tant d’influences extérieures antérieures. Le nord est en effet une terre de passage et de contact, contrairement à la Bourgogne. Les familles et les Hommes sont broyés physiquement et moralement dans l’outil industriel. Les conditions de vie sont effroyables (promiscuité, hygiène, malnutrition) et le travail est un enfer sans fin et dangereux, que ce soit dans les filatures ou au fond de la mine. L’espérance de vie est réduite pour tous. Il suffit de visiter les cimetières, pour constater la vie brève de nombreuses nations venues se fondre dans le brulot de l’industrie. Si les hommes aiment se rendre dans l’estaminet, c’est que ce lieu est mieux éclairé, mieux chauffé et plus agréable que leur propre maison. La pauvreté conduit à vivre à crédit (l’ardoise de l’épicier) pour sa subsistance. La cellule sociale c’est la mine ou la filature, comme un maître impersonnel et sans pitié. Il faudra attendre le 20ème siècle bien engagé, pour que les conditions de vie des mineurs deviennent plus tolérables, la fosse devenant également plus protectrice socialement, en pourvoyant à des logements corrects. Autour du corps social de la mine prévoyant tout (logement, médecin, commerces, bourses pour les jeunes, pension pour les veuves…..), se récrée alors une culture sociale familiale bien particulière. La fin brutale de l’exploitation laisse un pays en crise et sans repère, qui ne conserve souvent du 19ème siècle que l’estaminet et le crédit, pour son plus grand malheur. Heureusement, la région se renouvelle et se redresse par l’inventivité et l’ardeur de ses populations.

Henri Vincenot sent bien que l’équilibre subtil qu’il décrit va se rompre, au fil du 19ème siècle, sous la pression du modernisme et notamment en Bourgogne, de l’irruption du chemin de fer (qui dans le nord, est le support de tout le reste, avec aussi de rudes métiers).

Après d’autres lectures, je me tournerai également vers « la vie quotidienne en Normandie au temps de Madame Bovary », autre lecture proche de ma deuxième origine. Je ne sais pas si je retrouverai ce « Friluftsliv » des norvégiens, que l’on pourrait traduire par « la vie au grand air » et la simplicité, concept qui me convient parfaitement et que j’ai bien plus retrouvé en Bourgogne.

 







SUITE!


 J’ai eu un peu de mal à entrer dans l’ouvrage d’André Guérin, du fait d’un style journalistique avec notamment des phrases sans verbe. Cela étant, très rapidement, on ressent l’esprit normand au travers de ce style, dans un récit très bien documenté.  L’ambiance est fort laborieuse, méticuleuse sinon procédurière, sur un fond de grande pauvreté, que ce soit chez les gens de la mer ou ceux de la terre, dans un contexte de fortes disparités sociales avec, à l’opposé, les notables louis-phillipards. Entre une haute société assez guindée, fort policée mais peu homogène (bourgeois, aristocrates orléanistes ou légitimistes) et le peuple, on s’amuse finalement assez peu, sauf lors des foires. Chacun gère ses intérêts avec finesse sinon en finassant. Les normands sont souvent pauvres, notamment les marins vivant dans des conditions très misérables, avec cependant de fortes disparités de situations (terre-neuviens, marins « locaux », marins de commerce). Ce n’est certes pas l’épouvantable enfer du nord, mais c’est souvent une terrible précarité. En Normandie, on est plutôt discipliné et traditionnel. Il y eut un peu de chouannerie et l’on respecta Charles X et bien plus encore Louis Philippe 1er. Comme partout en campagne, on retrouve la veillée, les coutumes familiales…….Les références et la documentation sont excellentes, sans doute également basée sur un peu de vécu familial mais surtout sur de très nombreuses lectures d’ouvrages.

Entre les trois ouvrages, je préfère celui d’Henri Vincenot qui fut un merveilleux conteur et qui tirait ses sources directement de sa famille à la très grande longévité, ce qui ne fut hélas pas son cas. Il y a ensuite l’esprit bourguignon que je connais par une branche familiale par alliance et qui est extrêmement réjouissant et joyeux. Souvenons-nous d’un personnage aussi truculent que totalement dévoués aux autres et qui fut une grande figure publique : le chanoine Kir, Député Maire de Dijon !

Cela ne retire rien aux deux autres excellentes études auxquelles tout me rattache, moi le flamand avec une pincée d’espagnol, comme le fut la Flandre (mon arrière-grand-mère se nommait Gumez) et moi aussi le normand, tous issus de la terre puis broyés par le monde industriel ou orientés vers l’artisanat, avec parfois des parcours inattendus ! Mon arrière-grand-père mineur à Hénin Liétard est né à…Grenelle (état civil reconstitué « grâce » aux « sympathiques » pétroleuses de 1871…..) et des membres de la famille résidaient déjà à Suresnes vers 1900………curieux destins croisés qui n’ont rien à envier à notre époque et réciproquement……………..

 

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