La vie quotidienne au 19ème siècle.
Pierre Piérard est un
universitaire émérite du nord de la France, spécialiste du monde ouvrier et
auteur d’une excellente thèse sur la vie ouvrière à Lille sous le second
empire. J’ai choisi cette région en référence à mes origines familiales lilloises
et minières.
Henri Vincenot est un merveilleux
conteur bourguignon, auteur de nombreux romans et ouvrages, fin observateur et
connaisseur de la vie rurale de sa région.
Le métier, l’essence de l’historien,
c’est de faire revivre tout ce petit monde disparu, à partir de documents les
plus divers et disparates, chacun fournissant un petit indice d’une situation.
Il faut rechercher, lire une multitude infinie de papiers et parvenir à faire
le lien entre eux, pour comprendre toute une époque, un contexte, des faits,
des mentalités et actions de tout ce petit monde disparu, avec ses joies, ses
peines et ses espérances…..C’est une véritable enquête de détective, à partir
des actes de l’état civil, des délibérations des conseils municipaux, des ordonnances
royales et arrêtés préfectoraux, des rapports de police ou du bureau d’aide sociale,
de toutes les statistiques (nombre de chevaux, carioles, morts du choléra……),
des différents cadastres etc……Malheureusement, les séries sont souvent
discontinues et relier néanmoins tous les éléments, pour en faire un récit
descriptif, n’a rien de simple, sachant qu’on ne pourra pas tout dire. Un livre
d’historien est donc souvent ardu à lire, de par les descriptions précises mais
aussi l’inégalité de contenu et de connaissance, du fait de la discontinuité
des sources. Pierre Piérard restitue bien la vie des gens du nord au 19ème
siècle, en ce qu’elle a notamment de diverse, entre le monde industriel, rural,
maritime. C’est un livre d’une grande richesse.
Sans
nul doute, Henri Vincenot doit-il être considéré comme un grand écrivain du
20ème siècle ! Sa plume alerte, élégante et précise, au vocabulaire
particulièrement riche, des idiomes régionaux au français le plus pur. La
vivacité, sinon la truculence de son expression, restitue à merveille le milieu
de son enfance et de sa jeunesse, faisant de son récit, un trésor d’Histoire
sociale et des arts et traditions populaires. En effet, la matière constitutive
de son livre provient quasiment exclusivement du récit des anciens, soutenue
par une très grande érudition (ses seules sources documentaires). Au 19ème
siècle, en Bourgogne, l’espérance de vie moyenne est faible (46 ans) mais ce n’est
qu’une moyenne qui cache une très grande dispersion. La mortalité infantile
était très forte dans les deux premières années de vie (diphtérie, Méningite, Typhoïde). Les médications à base de plantes n’y
pouvaient hélas rien, contrairement aux autres affections, les paysans étant
très forts en pharmacopée. Mais si l’on franchissait certains caps, alors on
vivait très très vieux, permettant ainsi à plusieurs générations de cohabiter
ensemble ! Henri Vincenot a donc pu avoir accès à des souvenirs d’une très
grande richesse, de ses grands-pères, grands-mères, arrières grands-pères,
arrières grands-mères, oncles etc….Son récit nous permet de revivre exactement et
directement, sans interprétation, dans l’ambiance des paysans de Bourgogne et
il est captivant !
Si l’on
me demande quel livre j’ai préféré, ce n’est pas celui de mes origines, en
dépit de son intérêt. En effet, je préfère la vie des paysans bourguignons. Ils
ont une existence rude en symbiose avec la nature, avec des traditions et
croyances (notamment racines de syncrétisme religieux avec le christianisme) qui
remontent à la nuit des temps. Leur organisation sociale, avec ses codes reconnus
de tous, est articulée autour de la famille et du village, les activités d’itinérance
(il y a du monde sur les chemins !) jouent aussi un rôle de diffusion de l’information.
La nature offre tout ce dont on a vraiment besoin et le renouvelle chaque année
de façon équilibrée car le bourguignon prend soin de son milieu. Quand il fait
des coupes de bois, il nettoie la forêt. En bon Gaulois, les villageois
chassent le sanglier, présent à profusion, parmi bien d’autres espèces et la
famille se réunit pour la veillée l’hiver, au coin de l’âtre (rôle du feu). Outre
l’agriculture, les outils sont produits par l’excellence des maîtres compagnons
du tour de France. Au final, cette vie très équilibrée et rythmée par les
saisons, cette civilisation lente, apparaît comme vecteur d’équilibre et même d’une
certaine plénitude.
Dans le
nord, l’industrie présente de très bonne heure, a fait éclater toute
organisation sociale ancestrale, déjà mise à mal par tant d’influences extérieures
antérieures. Le nord est en effet une terre de passage et de contact,
contrairement à la Bourgogne. Les familles et les Hommes sont broyés
physiquement et moralement dans l’outil industriel. Les conditions de vie sont
effroyables (promiscuité, hygiène, malnutrition) et le travail est un enfer
sans fin et dangereux, que ce soit dans les filatures ou au fond de la mine. L’espérance
de vie est réduite pour tous. Il suffit de visiter les cimetières, pour
constater la vie brève de nombreuses nations venues se fondre dans le brulot de
l’industrie. Si les hommes aiment se rendre dans l’estaminet, c’est que ce lieu
est mieux éclairé, mieux chauffé et plus agréable que leur propre maison. La
pauvreté conduit à vivre à crédit (l’ardoise de l’épicier) pour sa subsistance.
La cellule sociale c’est la mine ou la filature, comme un maître impersonnel et
sans pitié. Il faudra attendre le 20ème siècle bien engagé, pour que
les conditions de vie des mineurs deviennent plus tolérables, la fosse devenant
également plus protectrice socialement, en pourvoyant à des logements corrects.
Autour du corps social de la mine prévoyant tout (logement, médecin, commerces,
bourses pour les jeunes, pension pour les veuves…..), se récrée alors une
culture sociale familiale bien particulière. La fin brutale de l’exploitation
laisse un pays en crise et sans repère, qui ne conserve souvent du 19ème
siècle que l’estaminet et le crédit, pour son plus grand malheur. Heureusement,
la région se renouvelle et se redresse par l’inventivité et l’ardeur de ses populations.
Henri Vincenot
sent bien que l’équilibre subtil qu’il décrit va se rompre, au fil du 19ème
siècle, sous la pression du modernisme et notamment en Bourgogne, de l’irruption
du chemin de fer (qui dans le nord, est le support de tout le reste, avec aussi
de rudes métiers).
Après d’autres
lectures, je me tournerai également vers « la vie quotidienne en Normandie
au temps de Madame Bovary », autre lecture proche de ma deuxième origine.
Je ne sais pas si je retrouverai ce « Friluftsliv »
des norvégiens, que l’on pourrait traduire par « la vie au grand air » et la
simplicité, concept qui me convient parfaitement et que j’ai bien plus retrouvé
en Bourgogne.
Entre les trois ouvrages, je préfère celui d’Henri Vincenot
qui fut un merveilleux conteur et qui tirait ses sources directement de sa
famille à la très grande longévité, ce qui ne fut hélas pas son cas. Il y a ensuite
l’esprit bourguignon que je connais par une branche familiale par alliance et
qui est extrêmement réjouissant et joyeux. Souvenons-nous d’un personnage aussi
truculent que totalement dévoués aux autres et qui fut une grande figure
publique : le chanoine Kir, Député Maire de Dijon !
Cela ne retire rien aux deux autres excellentes études
auxquelles tout me rattache, moi le flamand avec une pincée d’espagnol, comme
le fut la Flandre (mon arrière-grand-mère se nommait Gumez) et moi aussi le
normand, tous issus de la terre puis broyés par le monde industriel ou orientés
vers l’artisanat, avec parfois des parcours inattendus ! Mon
arrière-grand-père mineur à Hénin Liétard est né à…Grenelle (état civil
reconstitué « grâce » aux « sympathiques » pétroleuses de
1871…..) et des membres de la famille résidaient déjà à Suresnes vers
1900………curieux destins croisés qui n’ont rien à envier à notre époque et
réciproquement……………..
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